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Paul : Je pense qu'il y a un vrai enjeu à mettre davantage les gens dehors – tous les professionnels, les élus, tous ceux qui travaillent sur la ville, qui vont un moment intervenir sur l'aménagement de la ville.
Baptiste : Qu'est-ce que ça apporte d'aller dehors, à un urbaniste?
Paul : D'avoir moins de certitudes. Quand j’étais étudiant, je me souviens, on avait expliqué à des étudiants étrangers ce qu’on étudiait. Et on aurait dit qu’on était Dieu ! On faisait tout, la stratégie commerciale, l'aménagement, les transports – on était vraiment les urbanistes tout-puissants, ceux qui réparent les villes malades, qui vont les soigner, comme si on faisait tout.
Et justement, la démarche des Sentiers Métropolitains, en tant qu’urbaniste, ça m'a appris plutôt apprendre à observer, à laisser faire ; et ma théorie de l'aménagement, maintenant, du vrai rôle des urbanistes, c'est qu’il faut qu'ils fassent presque le moins de travail possible, et qu’il laisse faire la ville spontanée, parce que c'est là qu'il y a les meilleures choses qui apparaissent. Et c'est quand on fait des autoroutes et des aménagements, qu’on déborde d'idées géniales sur l'aménagement, qu’on fait les pires conneries, parce qu'il y a toujours des répercussions plus loin. Les sentiers m’ont donc appris l’humilité de l’aménageur.
Baptiste : Humilité, ça vient de sol, humus.
Boris : Oui, je connais très bien ce sentiment. Et à un moment donné, je me suis dit : « Il ne faut pas trouver des solutions aux problèmes », mais ça ne veut pas nécessairement dire qu'il ne faut jamais faire de projets. Quand je connais un terrain vraiment bien, par cœur, que j’ai marché marché marché dans un terrain, me viennent parfois dans la nuit – ou très tôt le matin en me réveillant – des idées que j'aurais envie de réaliser, non pas pour résoudre quelque chose, mais parce que j'ai envie de le faire, ou que j'aurais envie de le faire s'il y avait des moyens. Je pense que la perte de la "perspective des Dieux", veut pas nécessairement dire qu'il n'y a plus de projet à faire, mais ces projets relèvent d'autre chose que de chercher à résoudre des problèmes.
Paul : ça me rend militant pour la parole publique dans l'espace public, et je suis vraiment content de faire des balades maintenant à Toulon là-bas, et de fidéliser un public et d’habituer des gens à faire circuler la parole, et quand on a le droit de parler d'un immeuble, dans un quartier, et qu’un habitant peut répondre, tout ça fait du bien à tout le monde, ça fait une ville vivante, qui soulève sa chape de plomb. C'est important dans une société libre, d'avoir cette habitude de parler, sans avoir peur de dire des conneries quoi.
Le Sentier Métropolitain, c’est aussi retrouver les distances réelles des choses. Par exemple, faire à pied le trajet qu’on fait tous les jours en transport express, ça permet de voir que l’express est un peu une violence par rapport aux territoires. On ne fait pas 15 km comme ça, ce n'est pas anodin. Derrière, il y a une triche énergétique, et c'est important de s’en rendre compte. Le Grand Paris Express, je ne sais pas si c'est ça la solution. On va encore créer des des effets qu'on n’anticipe pas, en mettant un transport express sur le plateau de Saclay, et les gens vont habiter encore plus loin. Il faut revenir un peu aux bases je pense. Cesser de tricher en tout cas, ça reviendrait à aller contre l’express, à laisser la ville spontanée partout, mixte, laisser vivre la ville comme ça,
Baptiste : Quand on a regardé cette carte du Vaucluse au 19e siècle, on a eu une émotion, parce que les villes en rouge étaient tenues dans leur remparts, magnifiquement : rien ne débordait autour, il y avait des couronnes de champs, et tout était irrigué, et c'était le plan d'un territoire en pleine santé, d'après ce qu'on pouvait imaginer de la carte… Est-ce que tu as l'idée que les villes vont revenir dans leurs limites, qu’au 22e siècle on va retrouver ce plan-là ?
Paul : S’il n’y a plus de pétrole, il y aura de nombreux secteurs urbanisés loin des villes, des endroits habités par des commuters, qui ne vont pas pouvoir tenir. Peut-être qu'ils vont donc devoir devenir des fermes à la porte des villes, avec des animaux et de l'agriculture. On peut imaginer des changements de destination pour des bâtiments qui sont aujourd'hui des résidences, et qui vont devoir retrouver un sens par rapport à leur situation géographique, qui est plus à la campagne. Effectivement peut-être qu'aujourd'hui on a tendance à grossir le trait de ce qu’on appelle le périurbain – et qui serait quasiment tout –, et qu’en fait, cela va petit à petit s’affiner, jusqu’à disparaître, et pour arriver à une situation plus claire, parce qu’elle est plus facile aussi à pour adapter nos modes de vie : il y a la ville, et puis il y a le le rustique. Parce que le périurbain, ça veut dire la voiture, la navette.