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Comment les êtres humains habitent la terre ? C'est la principale, la plus grave et la plus grande question de notre siècle, parce qu’aujourd'hui les êtres humains habitent la terre, en gros, en détruisant la vie sur Terre et en pillant ses ressources – en général du Sud par le Nord. On parle de ça tous les jours à la télévision – mais en fait, concrètement, comment les êtres humains habitent la terre ? Le fait métropolitain est une expression concrète et incarnée de cette catastrophe écologique.
En le cadrant à ce niveau-là, ça m'aide à comprendre plein de choses. Ça m'aide à comprendre la fascination un peu morbide qu'on a pour ces territoires-là. On est souvent un peu tous dans une forme de metropolitan porn. On adore aller voir l'arrière des zones industrielles, une fascination pour quelque chose qui est en même temps grave et problématique. Et puis à cette fascination, autre chose s'est ajouté. Après une décennie de pratique, c'est une ambivalence de plus en plus profonde par rapport au fait métropolitain parce que, à force de faire des récits métropolitains, de raconter la ville, on devient de fait solidaires de cette métropolisation et donc, on devient aussi des agents de métropolisation, et donc on finit par faire des récits qui rendent acceptable, tolérable, même peut-être poétique, et intéressant, ce fait métropolitain qui, du point de vue de certains urbanistes, est en fait quelque chose de nocif et de problématique. Toute cette ambivalence, je pense qu'en fait il faut l'assumer pleinement, elle fait partie de notre problème.
Pourquoi est-ce que c'est si intéressant d'arpenter les métropoles du monde aujourd'hui ? C'est parce qu'on se confronte à l'incarnation la plus concrète du problème le plus grave de notre temps. C'est-à-dire que la civilisation s'est perdue, et nous explorons les futures ruines de cette civilisation perdue. Il faut prendre ça très très au sérieux et ça résonne avec ce qui se passe aussi dans les sciences sociales. Aujourd'hui partout dans le monde, se développe ce que certains sociologues comme Bruno Latour appelent « l’anthropologie symétrique ».
Nous sommes donc des anthropologues. Mais nous n’allons pas chercher la vérité de l'humain dans l'origine de l'humain, dans les civilisations d'avant la modernité à l'autre bout du monde, de façon concomitante avec l'aventure coloniale, nous n’allons pas découvrir des humains « moins avancés », la merveilleuse représentation du monde des aborigènes. Nous faisons de l'anthropologie symétrique parce que l'être humain est devenu un tel problème pour la vie sur Terre qu’on s'étudie nous-mêmes. On étudie notre impensé, on étudie nos propres villes, nos quartiers. On se confronte de façon directe et brutale à la réalité du problème le plus grave de notre temps. Si on cadre les choses comme ça, ça donne une importance encore plus grande à l'entreprise qu'on construit ensemble.