#leçon2 #leçon4 #leçon5 #interprétation
Il y a un DVD-livre qui a été produit en 2008 par par le Centre Pompidou et le CRDP de l'Académie de Créteil (Centre Régional de Documentation Pédagogique), qui s’appelle Explorateurs de limites, Promenades urbaines en Région Parisienne, et qui présente des pratiques, et le mot « pratique » était très très utilisé par Yves.
Il était lui-même architecte et avait travaillé dans les années 1970 aux prémices de la médiation culturelle moderne, avec des tas de gens qui réfléchissaient à ce qu’allait être la médiation culturelle qu’on connait aujourd'hui, à comment faire la pédagogie de la ville, d'abord en travaillant dans les CAUE (Conseil en Architecture, Urbanisme et Paysage) qui sont une spécificité française. En effet, dans chaque Département, il y a un CAUE qui est une association loi 1901 en charge de la promotion de l’architecture au sens large : « À quoi sert l'architecture ? », « À quoi sert l'urbanisme ? » ; et donc, en fait, Yves Clerget a d’abord travaillé sur la définition de ces programmes de médiation.
Yves a aussi rencontré les gens qui développaient la politique de la ville que ma génération a connu à la fin des années 1990. En France, on a eu un grand hiatus sur la politique de la ville, qui visait à recréer un lien entre la culture et et le développement urbain. Et le président Sarkozy, par exemple, a voulu absolument qu'on ne fasse plus de culture dans la politique de la ville, alors que c'était vraiment central pour d’autres.
Et puis, Yves Clerget a aussi travaillé à la préfiguration du Parc de la Villette, justement sur ces questions de médiation et de pédagogie de la ville, puis ensuite à Beaubourg, où il était en charge la pédagogie de la ville et du design, au moment où Beaubourg avait un centre de création industrielle, un centre qui invitait notamment Lucius Burckhardt (inventeur de la promenadologie, ou strollology). Alors, quels échanges il y a eu avec Yves Clerget ? Il y aurait une archéologie aussi à faire de ces rapports (ou non-rapports?) entre les différents acteurs, à cette période qui est quand même maintenant une période lointaine.
Ces pratiques de médiation prenaient donc notamment la forme de promenades – des promenades qui se construisaient beaucoup dans les Villes nouvelles, mais aussi entre le musée au centre de Paris, le Centre Pompidou et les Villes nouvelles, à l'occasion d'expositions d'urbanisme, mais aussi des expositions de peinture. Ils travaillaient sur comment mettre en relation la création picturale avec avec la ville et l'édition de la ville.
J’ai découvert ça à un moment où je commençais un peu à me socialiser, et donc ce que Clerget m’a vraiment appris c’est comment concevoir des « promenades polyphoniques » (c’était vraiment une expression de Yves), et comment laisser de la place dans la promenade parlée : on parle, mais ce n’est pas une conférence, c’est plutôt un échange. Yves avait un très grand savoir, qui était une sorte de maïeutique, très socratique. Il organisait le débat avec des intervenants, mais ça n’avait rien à voir avec la promenade-conférence. Cela consistait plutôt à laisser la place à tout ce qui pouvait venir, à tous les gens qui étaient là qui pouvaient apporter des éléments de connaissances, à remettre en lien ce qu'on voyait concrètement, à indexer les choses dans notre environnement, regarder – et, au final, faire la pédagogie de la ville.
Et cette pédagogie de la ville, elle est basée sur le regard collectif. C’est une polyphonie dans laquelle les gens qui sont là partagent le regard ; on fait donc circuler le regard, et tout le monde peut apporter quelque chose, à un morceau de savoir dans une expérience sensible. Il y a cette articulation entre le sensible, le conçu, le perçu, le vécu (c’étaient vraiment les grands leitmotive clergétiens). C'était vraiment un moment important dans ma démarche de socialisation, entre les Rêveries du promeneur solitaire et la construction collective des sentiers, ce fut une vraie étape.
Puis j’ai découvert Marseille à partir de 2004, un peu par hasard, et j'y ai rencontré Nicolas Mémain, Hendrik Sturm, cette scène d'artistes-promeneurs Marseillais. Alors qu’à Paris, la promenade est plutôt une promenade savante (et Yves Clerget a donc marqué beaucoup d’associations qui font des promenades à Paris, notamment les comités départementaux du tourisme, qui font des promenades savantes mais aussi éducation populaire, et il y a un certain nombre de réseaux qui ne communiquent pas forcément tous entre eux). Je ferais donc des parallèles entre le « sachant » que l’on évoque parfois, mais il y a aussi le « maître ignorant » de Jacques Rancière, qui n’est pas du tout l’héritage Yves Clerget, mais il y a un contexte des années 1970 qui est à réinterroger – il faudrait questionner ces héritages-là qui sont peut-être parfois côte à côte, les mettre en relation, pour se questionner sur ce qu'on fait ensemble, ou les pratiques aussi artistiques. Par exemple : en quoi les pratiques artistiques questionnent les pratiques de l'éducation populaire ? Ou les pratiques du tourisme ? Ou même des pratiques d'aménagement ? Puisque le chemin est aussi un aménagement urbain. Il faut se remémorer toutes ces expériences-là (des années 1970) pour se questionner aujourd'hui sur nos pratiques.