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De la cartographie à la photographie
J'habite à Athènes depuis 20 ans mais je ne suis ni athénien, ni grec de naissance. J'ai commencé à faire un travail géographique de thèse de doctorat sur l'absence d'urbanisme, sur la faiblesse de l'urbanisme à Athènes, et finalement j’ai été très rapidement confronté à l'absence de documents en provenance à la fois des corps professionnels de l'aménagement, de l'architecture, ou de l’urbanisme ; et en provenance du politique. Absence de documents, c’est-à-dire notamment absence de cartes, de vision cartographique de la ville d'Athènes, dans un pays où le cadastre est actuellement encore en formation. La question s’est donc posée de savoir comment se documenter sur ce phénomène urbain athénien a priori visuellement assez désordonné (ou qui pouvait avoir un ordre, disons, complexe) ?
C’est là que la photographie est devenue pour moi un moyen de se documenter, d'apprendre des choses sur cette ville ; et a été en même temps le vecteur d'une sortie de la cartographie (bien que je sois géographe à l’origine). J'ai commencé à photographier la ville, depuis les collines. Athènes en effet est une ville qui a quasiment le même nombre d'étages du centre à la périphérie de la ville, c'est un grand tapis de béton qui épouse le relief. Mais finalement, regarder la ville d’en haut, ce n’est pas forcément avoir une vue la plus intéressante, parce qu'elle est assez fractale – le parcellaire et de très petite dimension, et ne permet pas de voir l'intérieur. En utilisant la photographie, j'ai commencé aussi à voir l'intérieur, à avoir une vision très proche des phénomènes que j'allais observer.
Le paysage comme espace de l’habitation
Ça m’intéressait de voir comment le fait de sortir de la cartographie (parce qu'elle est inexistante, ou par choix) allait permettre d’observer le paysage comme l'espace de l'habitation. En Grèce, le cadastre est donc encore en formation ; c’est un processus d'apprentissage qui date de 20 ans. La question de la concrétisation, de la fixation de la propriété sur des documents cartographiques existait peu il y a quelques années, et la question de la limite entre l'espace public l'espace privé, entre la parcelle d'un propriétaire et la parcelle du propriétaire voisin, pouvait toujours donner lieu à des remises en cause, à des débordements, et c'est là que j'ai commencé à travailler sur la question du paysage comme espace de l'habitation, mais aussi comme espace différent du territoire administré, organisé par une société qui répond à des idéaux politiques, et qui trace des limites qui sont celles des appropriations normatives.
Vernaculaire et chorodiversité
Et en abordant la question du paysage j'ai commencé à travailler sur un auteur américain, John Brinckerhoff Jackson, qui définit le paysage non pas selon des critères esthétiques, non pas en lien avec la question du regard, mais comme l'espace de l’habitation, l'espace qui est celui de l'historisation, où les humains ancrent leurs histoires dans la géographie – et définit aussi l'espace, en reprenant un peu l'étymologie anglaises et allemandes, d’une collection d'espaces qui peuvent complètement échapper à la décision politique. Une collection d'espaces qui peut être de très petite dimension comme de grande dimension. Et là se pose une question qui est pour moi fondamentale dans dans les Sentiers Métropolitains : comment rendre compte de cette collection d'espaces hétérogènes ? Comment rendre compte de la pluralité des espaces dans une ville ? Parmi les grands thèmes en écologie, il y a la question énergétique et climatique (on en a un peu parlé avec les circulations), mais il y aussi la question de la biodiversité.
Et en ville est-ce que la biodiversité, elle ne provient pas aussi de la diversité d'espaces ? En reprenant le terme grec χορός (lieu), est-ce que la question n’est donc pas celle de la « choro-diversité » ? Il s’agirait d’aller voir comment dans une ville on peut trouver une grande hétérogénéité d’espaces ? Et si c’est le cas, est-ce que la marche, parce qu'elle peut finalement s'infiltrer partout dans la ville, au-delà de la partition entre le privé et public, au-delà des voies consacrées à un type de circulation, est-ce qu'elle peut rendre compte de cette chorodiversité ? Cette chorodiversité, elle échappe souvent à la politique. Et je pense que les Sentiers Métropolitains peuvent interroger ces phénomènes, cette pluralité d'espace, à toutes les échelles, et en accordant aussi, en lien avec la lenteur de la marche, avec la proximité des objets qu'on voit dans la ville, à tout ce qui relève du domestique (du vernaculaire), tout ce qui relève du proche, tout ce qui ne relève pas du plan, et même à une dimension qui est celle de la hauteur et pas de la surface au sol.
Le récit en question
Autre chose sur laquelle je voulais réagir. On parle beaucoup de récit, dans une référence plutôt liée à des modes d'écriture qui seraient la littérature, mais on peut aussi penser, quand on ne veut pas développer un récit, qu'on veut simplement faire une collection de faits urbains, qu’on ne va pas mettre en récit, mais qu’on va énumérer les uns après les autres. Et je pense qu’on peut ne pas vouloir créer des liens entre des séquences qui feraient forcément sens dans une forme de narrativité, mais simplement collecter un par un des bouts d'espace dans la ville.